« Filmer des choses horribles, mais de façon belle et poétique. »
Alexandre Bustillo
scénariste et co-réalisateur
Récemment, j’ai exhumé une vieille BO de ma petite
collection. Une que j’avais adorée en son temps, celle composée par
François-Eudes Chanfrault pour le film A
l’intérieur. Et, en redécouvrant cette composition, je me suis pris une
belle claque.
Du coup, j’ai
forcément eu une grosse envie de revoir
le film, dont le DVD prenait la poussière, depuis quelques années déjà, sur mon
étagère. Dont acte, et, rebelote, je me suis repris une belle claque,
comparable à celle que j’avais déjà reçue à l’époque de la sortie en salle de
cette petite perle rouge et noire, première œuvre de deux jeunes réalisateurs,
Alexandre Bustillo et Julien Maury.Ah… Mad Movies…
Juin 2007… Je m’en souviens bien. Plus qu’alléché par les photos, le pitch (j’en ai toujours un dans ma potche !) (oh allez quoi…), et par les previews publiées dans Mad Movies, c’est le cœur plein d’espoir et d’excitation que je m’étais rendu dans mon multiplexe favori pour découvrir le premier « long » (abréviation classe de long-métrage) de Julien Maury (inconnu au bataillon, ayant alors réalisé un « court » , Pizza à l’œil, en 2004) et Alexandre Bustillo, journaliste chez Mad, justement.
Pour
l’amateur de sensations fortes en salles obscures que je suis, c’était
prometteur.
Déjà, parce que, aller voir un film d’horreur français, au cinéma, ça fait toujours un immense plaisir. A l’époque, il y en avait peu (et aujourd’hui, carrément plus du tout…), alors, ça fait toujours un petit quelque chose en plus : « Putain… Ca a été tourné chez nous quoi… A la maison. C’est faisable ! J’y arriverai peut-être un jour alors… ».
Et puis, le ressenti est différent face à un film se déroulant dans le pays dans lequel on vit, dont l’environnement nous est familier, et dont les personnages parlent notre langue, sans doublage. On s’identifie forcément davantage.
Ensuite, l’œuvre était quand-même écrite et co-réalisée par Alexandre Bustillo, un mec de Mad Movies. Du coup, c’était un peu comme aller voir un film fait par un copain.
Déjà, parce que, aller voir un film d’horreur français, au cinéma, ça fait toujours un immense plaisir. A l’époque, il y en avait peu (et aujourd’hui, carrément plus du tout…), alors, ça fait toujours un petit quelque chose en plus : « Putain… Ca a été tourné chez nous quoi… A la maison. C’est faisable ! J’y arriverai peut-être un jour alors… ».
Et puis, le ressenti est différent face à un film se déroulant dans le pays dans lequel on vit, dont l’environnement nous est familier, et dont les personnages parlent notre langue, sans doublage. On s’identifie forcément davantage.
Ensuite, l’œuvre était quand-même écrite et co-réalisée par Alexandre Bustillo, un mec de Mad Movies. Du coup, c’était un peu comme aller voir un film fait par un copain.
Oui, c’est
comme ça. Avec Mad Movies, Jean-Pierre Putters a créé le parfait compagnon du
cinéphile déviant solitaire. Ce canard est fait par une bande de bonhommes qui
aiment le cinéma à en crever. Des mecs dont la vie tourne autour des salles de
cinéma et de leur collection de cassettes et de DVD. Eux, ils comprennent. Eux,
ils savent. Ils ne me regarderaient pas comme une bête curieuse en me traitant
de grand malade. Même si ça ne me déplaît pas forcément…
En plus, Mad (comme on le surnomme affectueusement) a un ton bien particulier. Ça parle très sérieusement de cinéma, j’ai même souvent eu besoin d’un dico pour comprendre le sens de certains termes utilisés, mais le magazine baigne dans un sens de l’humour décalé, vraiment drôle (pour les amateurs), dont notre JPP, qui a pris maintenant une retraite bien méritée, était le Prince du calembour.
Alors oui, quand on lit Mad Movies, on a l’impression de boire un coup avec une bande de potes. On parle de notre cinéma préféré, et on se marre. Donc, aller voir un film écrit et co-réalisé par un des gars de la Mad Team, d’autant que j’étais souvent d’accord avec ses papiers, ça avait vraiment un sens particulier.
En plus, Mad (comme on le surnomme affectueusement) a un ton bien particulier. Ça parle très sérieusement de cinéma, j’ai même souvent eu besoin d’un dico pour comprendre le sens de certains termes utilisés, mais le magazine baigne dans un sens de l’humour décalé, vraiment drôle (pour les amateurs), dont notre JPP, qui a pris maintenant une retraite bien méritée, était le Prince du calembour.
Alors oui, quand on lit Mad Movies, on a l’impression de boire un coup avec une bande de potes. On parle de notre cinéma préféré, et on se marre. Donc, aller voir un film écrit et co-réalisé par un des gars de la Mad Team, d’autant que j’étais souvent d’accord avec ses papiers, ça avait vraiment un sens particulier.
Julien Maury et Alexandre Bustillo |
Souvenirs de projo...
De cette séance de juin 2007 à l’UGC Ciné Cité Bercy, je me souviens très bien d’un couple assis derrière moi. La salle, de taille moyenne, était plutôt bien remplie, aux trois quarts, et je percevais toutes les réactions de ces deux personnes. Ils devaient avoir dans les 18, 20 ans, à peu de choses près.
Lui, comme beaucoup de gens face à ce genre de films, riait quand l’hémoglobine arrosait généreusement l’écran. Pas le rire du mec à qui on vient d’en raconter une bien bonne (celle de l’otarie goulue, par exemple), mais plutôt celui, reconnaissable entre tous, du gars quand même pas si à l’aise que ça dans ses baskets. Et elle, elle ne se donnait même pas la peine d’essayer de masquer son malaise. Dés le début des hostilités, elle se tortillait sur son fauteuil en commentant l’action à grands renforts de : « Oh Putain… », « AH NON !!!! », « Merde, c’est dégueulasse… », « Ah, il faut qu’ça s’arrête… », « Mais c’est quand qu’ça s’arrête ?!?! », le tout entre deux bons gros CRONCH CRONCH de pop-corn.
D’un côté,
le bruit qu’ils faisaient était bien sûr dérangeant (moi qui chéris plus que
tout une belle salle bien silencieuse…), mais en même temps, je dois bien
avouer que j’étais doublement ravi. D’abord parce que le spectacle qui
s’étalait devant mes yeux était à la
hauteur de mes plus fébriles attentes (et croyez moi, fébriles, elles
l’étaient !), ensuite parce que ce couple peu discret me prouvait à chaque
instant que ce genre de films
fonctionnait encore à 200% !
Oui, un film d’horreur bien foutu, bien prenant, ça pouvait encore donner le frisson, aux dingues de ce genre de cinéma, comme aux spectateurs lambda. Oui, un film d’horreur, ça pouvait encore être une expérience prodigieusement viscérale.
Et quand, de temps en temps, un film débarque, comme ça, et vous le rappelle, et ben ça fait quand même fichtrement du bien !
Oui, un film d’horreur bien foutu, bien prenant, ça pouvait encore donner le frisson, aux dingues de ce genre de cinéma, comme aux spectateurs lambda. Oui, un film d’horreur, ça pouvait encore être une expérience prodigieusement viscérale.
Et quand, de temps en temps, un film débarque, comme ça, et vous le rappelle, et ben ça fait quand même fichtrement du bien !
Les ciseaux, étonnante arme de prédilection de la Femme |
A l’époque, comme beaucoup de
fans de cinéma d’horreur, et comme une grande majorité des lecteurs de Mad
j’imagine, j’avais donc adoré A
l’intérieur, et embrassait les pieds de Bustillo et Maury, les nouveaux
messies du genre, qui allaient, à l’avenir, nous offrir de sacrés bons
films (ce qu’ils firent d’ailleurs) !
Leur
première œuvre m’était apparue superbement réussie. Avec une grande élégance
dans leur mise en scène, de beaux mouvements de caméras, une photo léchée, une
musique marquante, les réalisateurs avaient pris le parti de nous raconter
avant tout une vraie histoire, autour de personnages forts, joliment et
subtilement croqués, dont les souffrances les poussaient aux actes les plus
déchirants (littéralement, hum…).
Et en le
revoyant maintenant, presque dix ans plus tard, force est de le constater, mes
souvenirs étaient plutôt bons…
En effet,
ce qui fait, aujourd’hui encore, la grande force du film, c’est avant tout
l’histoire qu’il raconte, et la caractérisation de ses personnages. Deux âmes
errantes, ayant perdu tout espoir en la vie, qui vont se rencontrer et se
combattre, le salut de chacune résidant en l’autre.
A L’intérieur, c’est l’histoire de
Sarah (Alysson Paradis, exceptionnelle de justesse et d’intensité pour un
premier rôle au cinéma particulièrement exigeant). Jeune femme enceinte dont
l’existence semble s’être arrêtée lors d’un accident de voiture ayant coûté la
vie à son compagnon, Mathieu.
Quatre mois
plus tard, nous sommes à la veille de Noël, et de l’accouchement de Sarah, qui
n’a de cesse de s’enfoncer dans la solitude et la mélancolie. Elle repousse
ainsi sa propre mère (Nathalie Roussel, la charmante maman de Marcel Pagnol
dans La gloire de mon père et Le château de ma mère), et demande
plutôt à son patron de venir la chercher au matin pour l’emmener à l’hôpital,
exploitant manifestement le béguin qu’il a pour elle.
Mais dans
la nuit, alors qu’elle dort seule dans son petit pavillon d’une banlieue
anonyme, une femme (Béatrice Dalle, née pour le personnage !) va
s’introduire chez elle, et tenter littéralement de lui arracher son enfant.
Du coeur avant tout
Du coeur avant tout
Nous ne
sommes donc pas ici dans une situation traditionnelle de l’horreur de ces
dernières années. Pas de bandes d’ados qui ne pensent qu’à picoler, faire la
fête et s’envoyer en l’air. Pas de tueur mystérieux se cachant derrière un
masque et jouant au chat et à la souris avec ses victimes… On aime bien hein,
mais là, rien de tout ça. Rien de cliché, rien de convenu. Rien de confortable.
La première scène du film nous plonge d’emblée dans une horreur toute différente. Une horreur hélas très réelle, très concrète, celle d’un banal accident de voiture. Froid, cruel, monstrueux. Sarah, au volant, en sang, ouvre les yeux. Elle est la seule survivante.
L’horreur réelle d’un accident de voitures |
Après un
joli générique, tout en épanchements sanguins et lettres dégoulinantes, on la retrouve quatre mois plus tard. Personnage paradoxal,
Sarah est comme morte à l’intérieur, elle qui, pourtant, est à la veille de
donner la vie.
Quasiment
vide de toute émotion, elle ne réagît que par l’agacement à la présence d’une
mère que l’on devine auparavant très absente (Sarah ne la désigne que par son
prénom, et ne l’appellera maman que dans la plus profonde détresse), mais qui
tente de se rapprocher de sa fille et de la soutenir vaille que vaille dans une
situation effroyable. Pareillement, elle ne voit son patron
« soupirant » que parce qu’il peut lui rendre service.
Sarah fait
des cauchemars, où elle se voit littéralement cracher son enfant par la bouche
dans un geyser de sang. Elle ne supporte pas ce bébé qui est en elle, pas
encore né, mais déjà vestige d’une vie passée, irrémédiablement détruite.
Finalement,
la seule émotion qu’elle exprime vraiment est la tristesse, noire et profonde.
Et, le temps d’une scène absolument fabuleuse de délicatesse et de finesse,
Maury/Bustillo vont d’ailleurs nous ouvrir le cœur de ce personnage qui souffre
au-delà de l’imaginable.
Face à un mur de photos la représentant à
divers stades de sa relation avec Mathieu, Sarah se laisse aller à la rêverie,
et imagine, l’espace d’un court instant, son homme qui la retrouve, et la sert
dans ses bras, en la couvrant de caresses et de baisers.
La scène aurait pu
être d’une banalité confondante, un cliché gros comme une maison. Ca aurait pu
être une série de flashbacks les montrant « à l’époque du bonheur »,
comme Bustillo/Maury en plaisantent dans leur commentaire audio du DVD. Mais
non.
C’est
d’abord la musique sublime de François-Eudes Chanfrault, qui nous offre ici
l’une des rares mélodies d’une composition essentiellement tournée vers un
sound design glauque et nerveux.
Un tandem
de violon et piano, qui accompagne un gros plan de face de Sarah. Elle est
seule, contemple les photos, et ne peut s’empêcher de repenser à sa vie
d’avant.
Le morceau "Memories I & II"
Suit un
léger travelling avant sur son dos, quelqu’un semble s’approcher d’elle… Arrive
alors Mathieu.
Ce sont d’abord ses mains qui pénètrent lentement dans le cadre,
et enserrent délicatement le ventre rond de Sarah. Puis son visage. Penché en
avant, au-dessus de son épaule, il embrasse son amoureuse dans le cou.
L’expression de plaisir simple de cette dernière, la tendresse des caresses
échangées… Hélas brutalement interrompues par un violent retour à la réalité.
Une brève image de l’accident. La tête de Mathieu qui heurte le pare-brise.
Mathieu ne
reviendra pas. Mathieu est mort. Et quelque part, Sarah est morte avec lui.
En une
courte poignée de plans d’une désarmante simplicité, la douleur abominable de
la condition de Sarah prend corps. Le spectateur ne peut que ressentir le vide
insupportable qui est en elle. Moment de grâce. Infinie délicatesse de la mise
en scène et du scénario.
Puis,
arrive la Femme.
Sarah rêve d’un impossible retour |
Monstrueusement humaine
Elle est d’abord une silhouette dans l’œilleton d’une porte. Puis une voix
étouffée, qui appelle Sarah par son prénom, et sait à quel point elle est
seule, tel un être surnaturel qui aurait observé sa vie depuis le début, et en
connaîtrait chaque intime détail : « Elle connaît toute mon
histoire ! », dira Sarah à la police.
Enfin, elle
est de nouveau une silhouette, mais derrière une fenêtre. Ombre parmi les
ombres. Forme noire, vêtue d’une robe noire, sur fond de nuit noire… La Mort
elle-même vient frapper à la porte de Sarah.
On ne verra, finalement, le visage de la Femme qu’à la faveur d’une petite flamme, lorsqu’elle s’allumera une cigarette. Un geste étonnamment trivial pour un personnage dont l’introduction flirte à ce point avec le fantastique.
En fait, c’est tout au long du film que ce personnage sera traité « entre – deux », tantôt créature monstrueuse, froide et déterminée, agissant à l’instinct, tantôt être humain en souffrance, étonnamment émouvant, pouvant céder à la colère, ou pleurer à chaudes larmes lorsqu’elle a mal.
On ne verra, finalement, le visage de la Femme qu’à la faveur d’une petite flamme, lorsqu’elle s’allumera une cigarette. Un geste étonnamment trivial pour un personnage dont l’introduction flirte à ce point avec le fantastique.
En fait, c’est tout au long du film que ce personnage sera traité « entre – deux », tantôt créature monstrueuse, froide et déterminée, agissant à l’instinct, tantôt être humain en souffrance, étonnamment émouvant, pouvant céder à la colère, ou pleurer à chaudes larmes lorsqu’elle a mal.
Créature fantastique capable de s’introduire dans une maison à l’insu de tous, même de la police, attendant simplement, prédateur patient, le moment où sa proie va suffisamment baisser sa garde.
Tel ce plan où, assise sur son canapé, Sarah ne la voit ni ne l’entend s’approcher, derrière elle. Elle ne sent pas cette présence qui émerge de l’ombre de manière quasi surnaturelle, comme en lévitation (Béatrice Dalle était alors juchée sur un chariot traveling manœuvré par un technicien). Elle émerge, s’approche, presque à toucher Sarah, puis s’en retourne dans les ténèbres, sans un bruit. Le plan est si doux, si subtil, que certains spectateurs ne se rendent tout simplement pas compte de la présence de la Femme dans le cadre. Dans le genre « apparition fantomatique », une belle réussite !
Monstre aussi lorsque, mue par une inébranlable volonté, elle aligne les victimes sans sourciller, ne semblant pas le moins du monde atteinte par la portée de ses actes. Tuer ne lui procure pas de plaisir, mais ne la dégoûte pas non plus. Si elle doit en passer par là pour atteindre son objectif, alors, ainsi soit-il. Tout au plus semble-t-elle manifester une légère curiosité au moment où une de ses victimes passe de vie à trépas...
Et quand, lors d’un final éprouvant, elle voit la moitié de son visage brûlée au troisième degré, non seulement cela ne l’arrêtera pas, mais en plus, ses brûlures renforceront encore son aspect monstrueux.
La Femme se révèle |
Un monstre
donc, mais aussi un être humain.
Ainsi, une jolie scène la voit pénétrer dans la future chambre du bébé, chez Sarah. Elle en observe les jouets, les vêtements… Elle ouvre un paquet, en regarde le contenu, le renifle, puis le rejette violemment. Des gestes qui témoignent d’un réel malaise, d’une souffrance.
Quand sa victime parvient à s’enfermer in extremis dans la salle de bains, manquant de forces pour en défoncer la porte, elle passera ses nerfs à coups de pieds et de poings contre les murs, en hurlant sa rage ! On est loin du mutisme impassible d’un Michael Myers, le célèbre croque-mitaine de la série des Halloween.
Et lorsque débarqueront à l’improviste le patron de Sarah et sa mère, elle laissera la situation s’envenimer, jusqu’à en perdre le contrôle. Incapable de réagir autrement, c’est dans le sang qu’elle règlera le problème.
La Femme est un être humain, faillible, qui ne semble pas avoir réellement pensé ou planifié ses actes. Elle improvise sur place, avec les moyens du bord. Une paire de ciseaux, un pistolet… Motivée par une souffrance intolérable qu’elle tente à tous prix de faire taire. Souffrance qui ne nous sera révélée que dans les derniers instants du film.
Sans faire office de twist, cette révélation éclaire sous un jour nouveau ce personnage mystérieux, et lui confère une dimension tragique inattendue, permettant une conclusion non seulement graphiquement très éprouvante (probablement le sommet du gore en nos vertes contrées), mais aussi emplie d’une émotion bouleversante.
Ainsi, une jolie scène la voit pénétrer dans la future chambre du bébé, chez Sarah. Elle en observe les jouets, les vêtements… Elle ouvre un paquet, en regarde le contenu, le renifle, puis le rejette violemment. Des gestes qui témoignent d’un réel malaise, d’une souffrance.
Quand sa victime parvient à s’enfermer in extremis dans la salle de bains, manquant de forces pour en défoncer la porte, elle passera ses nerfs à coups de pieds et de poings contre les murs, en hurlant sa rage ! On est loin du mutisme impassible d’un Michael Myers, le célèbre croque-mitaine de la série des Halloween.
Et lorsque débarqueront à l’improviste le patron de Sarah et sa mère, elle laissera la situation s’envenimer, jusqu’à en perdre le contrôle. Incapable de réagir autrement, c’est dans le sang qu’elle règlera le problème.
La Femme est un être humain, faillible, qui ne semble pas avoir réellement pensé ou planifié ses actes. Elle improvise sur place, avec les moyens du bord. Une paire de ciseaux, un pistolet… Motivée par une souffrance intolérable qu’elle tente à tous prix de faire taire. Souffrance qui ne nous sera révélée que dans les derniers instants du film.
Sans faire office de twist, cette révélation éclaire sous un jour nouveau ce personnage mystérieux, et lui confère une dimension tragique inattendue, permettant une conclusion non seulement graphiquement très éprouvante (probablement le sommet du gore en nos vertes contrées), mais aussi emplie d’une émotion bouleversante.
Du gore émouvant
Attention, ce "chapitre" révèle la fin du film
En effet, après avoir traversé un grand nombre (!!!) d’épreuves, Sarah se
retrouve en bien fâcheuse posture,
obligée d’accoucher dans son escalier, alors qu’elle souffre déjà de
multiples lacérations, et qu’elle vient de recevoir de nombreux coups dans le
ventre (oui, c’est à ce point là…). Et la seule personne encore présente qui
puisse lui porter assistance, n’est autre que la Femme.
Contre
toute attente, cette dernière tentera d’abord de soulager Sarah, et de l’aider
à accoucher par voie naturelle. Mais lorsque Sarah elle-même abdiquera, le bébé
étant coincé (ce qui est bien compréhensible étant donné ce qu’elle vient
d’endurer), c’est en dernier recours que la Femme accomplira le dessein dans
lequel elle était venue.
Saisissant
l’énorme paire de ciseaux qui est devenue son arme de prédilection, elle
procède à une césarienne, sauvage de par la situation (Sans anesthésie !!!
Dans les escaliers !!! Avec des ciseaux !!!) mais dépourvue de
violence ou de brutalité dans son attitude. Non, il ne s’agît pas là de tuer,
d’abattre son adversaire, si combatif depuis de nombreuses heures, mais bel et
bien, au contraire, de donner la vie, coûte que coûte. Il s’agît de mettre au
monde un enfant, et de le sauver.
Ici éclate
tout le talent de scénaristes et de metteurs en scène de Maury/Bustillo. Malgré
les litres de sang versés dans une scène d’une violence atroce, difficilement
supportable, c’est l’émotion qui prime. Ces deux femmes, qui n’ont de cesse de
se battre alors qu’elles ont tant en commun, unissent finalement leurs efforts,
pour atteindre leur but.
Pourquoi le
gore, habituellement utilisé pour son effet répulsif ou effrayant, ou, à
l’inverse, pour créer un impact comique, fonctionne-t-il ici
différemment ?
Sarah vient de faire connaissance avec la Femme |
Parce qu’il
est, petit à petit, depuis le début du film, devenu une sorte d’élément
narratif à part entière. Une métaphore illustrant la profondeur des évènements
décrits, l’intensité des enjeux pour les deux protagonistes.
Il est à la fois concret (les gens saignent, les gens meurent) et symbolique. Ici, le gore est avant tout émotionnel, et renforce les sentiments des personnages. Sarah et la Femme souffrent tellement, avant même de commencer à se battre, que lorsqu’elles s’infligent physiquement leurs blessures, le sang ne peut que couler abondamment. Le corps de Sarah hurle ainsi toute la douleur qu’elle n’arrive plus à contenir, par les flots de sang qu’il laisse se déverser. Elle tentait désespérément de cacher sa détresse, mais son corps, lui, ne peut mentir.
Pour que ce soit si fort émotionnellement, si intense, il fallait que ce soit aussi violent. Il fallait que ce soit viscéral. Si Maury/Bustillo n’avaient pas été à ce point jusqu’auboutistes, ils auraient sans doute fait un bon film, mais certainement pas aussi marquant. Ils n’auraient pas rendu leur œuvre aussi touchante, aussi bouleversante, et, finalement, aussi forte.
La violence de A l’intérieur est ainsi tout sauf gratuite, ce dont on l’a pourtant énormément taxé à sa sortie.
A l’intérieur. A l’intérieur de la maison. Le bébé, à l’intérieur de Sarah. Mais aussi, surtout, la douleur organique, profonde, à l’intérieur de ces deux femmes qui ne parviennent plus à vivre.
Après une telle scène, ne reste plus aux réalisateurs qu’à nous achever. Ce sera chose faite en l’espace de deux plans, aussi sobres que puissants.
D’abord un travelling latéral sur Sarah, petite chose détruite, dans un état abominable, baignant dans une mare de sang impressionnante, mais ayant enfin cessé de lutter. Le plan est là encore d’une violence phénoménale, mais l’histoire qui vient de nous être racontée, ce que l’on sait du personnage, le chargent d’une émotion telle qu’il en devient, avant tout, poignant.
Puis un autre travelling, arrière celui-ci.
La Femme, blessée, épuisée, est assise dans un fauteuil, et berce délicatement l’enfant qu’elle tient dans ses bras. Elle le tient enfin. Il est là, avec elle, cet enfant désiré au-delà de toute rationalité. Pour lequel elle aura commis tant d’atrocités. Pour lequel elle se sera tant battue. Elle mourra peut-être des suites de ses blessures, mais pour le moment, pour ce moment qui n’appartient qu’à elle et au bébé, elle le tient dans ses bras. Enfin apaisée...
Le film prend fin sur cette image saisissante d’une femme berçant son enfant, cernée par des ténèbres dont elle ne reviendra probablement pas.
Il est à la fois concret (les gens saignent, les gens meurent) et symbolique. Ici, le gore est avant tout émotionnel, et renforce les sentiments des personnages. Sarah et la Femme souffrent tellement, avant même de commencer à se battre, que lorsqu’elles s’infligent physiquement leurs blessures, le sang ne peut que couler abondamment. Le corps de Sarah hurle ainsi toute la douleur qu’elle n’arrive plus à contenir, par les flots de sang qu’il laisse se déverser. Elle tentait désespérément de cacher sa détresse, mais son corps, lui, ne peut mentir.
Pour que ce soit si fort émotionnellement, si intense, il fallait que ce soit aussi violent. Il fallait que ce soit viscéral. Si Maury/Bustillo n’avaient pas été à ce point jusqu’auboutistes, ils auraient sans doute fait un bon film, mais certainement pas aussi marquant. Ils n’auraient pas rendu leur œuvre aussi touchante, aussi bouleversante, et, finalement, aussi forte.
La violence de A l’intérieur est ainsi tout sauf gratuite, ce dont on l’a pourtant énormément taxé à sa sortie.
A l’intérieur. A l’intérieur de la maison. Le bébé, à l’intérieur de Sarah. Mais aussi, surtout, la douleur organique, profonde, à l’intérieur de ces deux femmes qui ne parviennent plus à vivre.
Après une telle scène, ne reste plus aux réalisateurs qu’à nous achever. Ce sera chose faite en l’espace de deux plans, aussi sobres que puissants.
D’abord un travelling latéral sur Sarah, petite chose détruite, dans un état abominable, baignant dans une mare de sang impressionnante, mais ayant enfin cessé de lutter. Le plan est là encore d’une violence phénoménale, mais l’histoire qui vient de nous être racontée, ce que l’on sait du personnage, le chargent d’une émotion telle qu’il en devient, avant tout, poignant.
Puis un autre travelling, arrière celui-ci.
La Femme, blessée, épuisée, est assise dans un fauteuil, et berce délicatement l’enfant qu’elle tient dans ses bras. Elle le tient enfin. Il est là, avec elle, cet enfant désiré au-delà de toute rationalité. Pour lequel elle aura commis tant d’atrocités. Pour lequel elle se sera tant battue. Elle mourra peut-être des suites de ses blessures, mais pour le moment, pour ce moment qui n’appartient qu’à elle et au bébé, elle le tient dans ses bras. Enfin apaisée...
Le film prend fin sur cette image saisissante d’une femme berçant son enfant, cernée par des ténèbres dont elle ne reviendra probablement pas.
La Femme, enfin en paix |
La
réalisation de Maury/Bustillo est très simple, très sobre. Rien d’alambiqué,
pas de rotations de la caméra en tous sens ou de plans de travers pour faire
« mode » (donc « ringard » en fait…). Au contraire, avant
tout au service de l’histoire et des personnages, et non de l’esbroufe, les
cadrages sont soignés, et les mouvements d’appareil épurés, apportant leur
efficacité, tout en ayant l’élégance de leur simplicité.
Ajoutons à
cela une belle et intelligente idée : régulièrement, il nous est donné de
voir les réactions du bébé, dans le ventre de Sarah. Des plans brefs, mais
diablement forts, puisqu’ils permettent de recentrer systématiquement l’action
autour de son véritable enjeu, de personnifier cet enfant à venir, et ainsi de
l’extirper de sa condition abstraite d’être vivant, mais encore
« non-né ».
Mentionnons le superbe travail de photographie de Laurent Barès , ne cherchant pas systématiquement une
quelconque forme de réalisme, lui préférant la création de tableaux
d’inspiration expressionniste et fantastique, à l’impact certain, dont ce plan
final, la Femme drapée d’obscurité, est l’un des plus beaux exemples.
Et cette
musique, dont les notes nous déchirent
le cœur, longtemps encore après la fin du film. A peine trois petites
mélodies, étonnantes de sobriété, mais extrêmement évocatrices, d’autant
qu’elles sont utilisées avec parcimonie, de manière très judicieuse.
Une victime collatérale |
La perfection n'étant pas de ce monde
Bon, bien
sûr, si tant d’emphase trahit mon amour démesuré (pour le film, comme pour le
genre auquel il appartient), je me dois aussi de faire preuve d’honnêteté, et
de reconnaître les quelques défauts du film. Car il y en a, forcément.
A commencer
par ce qui y est probablement le plus gênant, le (léger) trop plein de
péripéties que doit traverser Sarah.
Si elles
sont absolument toutes crédibles, de l’arrivée à l’improviste de sa mère au
passage d’une patrouille de police attendue, il paraît peu probable, passé un
certain stade, que Sarah parvienne encore à se relever.
Ainsi,
après s’être tailladée les mains avec des morceaux de miroirs, après avoir reçu
des coups de ciseaux, une série de coups de pied, et un grille-pain (!!!) en
plein visage, non-seulement elle parvient encore à se relever, mais elle a
aussi la présence d’esprit, le courage, et la force, de pratiquer sur elle-même
une trachéotomie (normal, tout va bien…), afin d’expulser le sang qui l’empêche
de respirer. Un bout de scotch sur la plaie, et hop, la voilà repartie comme en
40, en mode « Ouh putain j’vais m’la faire !!! », se bricolant même une lance à base d’un
couteau de cuisine et d’un tuyau d’aspirateur (excellente idée : toutes
les armes du film sont domestiques, à l’exception de celles des flics).
J’entends
bien toute la valeur symbolique de la scène, qui voit ce personnage
« mort » décider, finalement, non seulement de survivre, mais aussi,
surtout, de se battre. La trachéotomie lui permet de nouveau de respirer, de
reprendre de l’oxygène, symbole de cette vie qui l’avait fuie, et qui se saisit
à nouveau d’elle.
C’est beau. C'est
puissant. C'est cohérent. Simplement, il paraît peu probable qu’un être humain,
particulièrement dans sa condition, ayant subi tant de douleur, physique comme
psychologique, puisse encore trouver la force de se relever et d’endurer pareil
calvaire.
Par
ailleurs, le plan « iconique » (typique du genre), où, lance
improvisée à la main, elle nous jette un regard-caméra, affichant son intention
d’en découdre, est hélas un poil trop théâtral par rapport au reste d’un film à
ce point tourné vers le réalisme qu’il ne nécessitait pas une telle image.
Sarah décide finalement de se battre |
Mais on
sent bien qu’il s’agît là d’un bon gros plaisir coupable. La seule petite
concession de fanboys de nos deux jeunes réalisateurs finalement.
Ce qui est
très étonnant pour un premier film, car habituellement, les passionnés
d’horreur qui passent à la réalisation n’ont de cesse de truffer leur film de
références aux œuvres et auteurs qu’ils portent aux nues, transformant leur
petite pelloche faite avec amour en hommage ambulant, et oubliant souvent en
route leurs personnages et leur histoire… (c'est le problème avec les fans de films d'horreur, ils n'aiment pas ça, ils ADORENT ça !)
Ce n’est
ici, heureusement, pas le cas, même si on sent bien certaines influences (celle
du Argento de la belle époque notamment), et étant donné la qualité et la tenue
de l’ensemble, on pourra bien pardonner à Bustillo/Maury cet excès
d’enthousiasme compréhensible.
Au chapitre
des bémols également, cette petite scène au tout début du film. Alors que Sarah
attend dans un couloir d’hôpital, l’air morose à côté d’un sapin de Noël
maigrichon, une infirmière vient s’asseoir près d’elle et commence à lui
raconter ses propres souvenirs de grossesse, avec force détails et
commentaires. Le personnage se comporte, dans ses gestes comme dans sa voix, de
manière inquiétante, bien que calme et posée. Si la scène est effectivement
étrange et décalée, ce qui était le but avoué des réalisateurs, elle est aussi
trop maladroite pour fonctionner vraiment. Le jeu un peu forcé des infirmières
y est sans doute pour quelque chose, mais, surtout, on sent un peu trop la
chorégraphie qui se joue derrière la caméra à ce moment là, avec entrée et
sortie de champs des personnages. Un très léger bémol, la scène étant trop
courte pour ennuyer, et demeurant amusante malgré tout.
Enfin, le
contexte social du film, s’il est bien évoqué à quelques reprises, ne sert
finalement que de toile de fonds, sans réelle pertinence.
En effet, des propos
de la mère de Sarah à ceux de son patron, en passant par les journaux télévisés,
on comprend bien que nous sommes dans une période de forts troubles sociaux,
avec émeutes dans les banlieues, voitures brûlées, etc. Si ces évènements
collaient au contexte de l’époque (le tournage a eu lieu moins d’un an après
les émeutes de novembre 2005, qui avaient alors fortement marquées les
esprits), et renforçaient le réalisme du film, ils n’ont hélas aucune réelle
conséquence sur l’histoire qui nous est contée, et paraissent donc plutôt
anecdotiques. Mais il ne s’agît, encore une fois, que d’un détail ne nuisant
nullement à l’œuvre dans son ensemble.
Bref, pas
de quoi déranger lors du visionnage du film, ni atténuer son exceptionnelle
force d’évocation.
La Femme passe à l’acte |
Un coeur qui bat
A l’intérieur est donc le fruit d’une
réelle convergence de talents et de passions, aboutissant in fine, à l’un des
films d’horreur les plus radicaux de ces dernières années. Un des plus gores,
mais aussi, sans aucun doute, l’un des plus beaux.
Car toute
cette hémoglobine nous vient d’un cœur qui bat. Il bat, plein de l’amour et des
sentiments des personnages. Il bat, débordant de la passion des auteurs pour
leur histoire, comme pour leur art, le cinéma. Un cinéma
capable, parce qu'il ose aller loin, de nous faire vivre des histoires profondes, chargées en émotions, ici
véritables moteurs de l’intrigue, véritables motivations de personnages que
l’on ne peut qu’irrémédiablement aimer, à force de les voir se battre, et se
relever, pour affronter leurs peurs, et les monstres auxquels ils ont donné
naissance.
Avec A l’intérieur, Alexandre Bustillo et
Julien Maury nous ont offert, tout simplement, et en toute modestie, avec
l’ambition de faire juste « un bon film », un immense monument du
genre. Un film qui, par sa rigueur scénaristique et filmique, malgré ses
défauts d’œuvre première (et même
« grâce à ses défauts », ceux-ci apportant souvent un joli
supplément d’âme…), porte si bien son histoire, qu’il ne peut que toucher en
plein cœur ses spectateurs.
Pour un
premier long-métrage, franchement… Chapeau bas messieurs.
Ce jour de
juin 2007, je suis rentré chez moi secoué. Retourné. Ému. Avec l’envie de
revoir le film rapidement, ce qui fut chose faite une semaine plus tard, à
l’UGC Orient Express (Ah, l’Orient-Express, une salle pourrie qui récupérait
toutes les bisseries qui sortaient, et avait comme un petit arrière goût de
salle de quartier de la belle époque, pour moi qui ne les ai hélas pas
connues…). Et avec l’envie, bien sûr, d’en acquérir au plus vite le DVD, afin
de pouvoir le voir, le revoir, le revivre, encore, et encore…
Alors, messieurs Bustillo, Maury, Barès, Chanfrault, Molon (pour ses superbes et très efficaces maquillages), Baxter (pour son montage) (tiens, le monteur attitré de Aja/Levasseur aussi…) merci à vous ! Et merci à toutes vos équipes !
Merci à vous tous. Vous nous avez offert un film d’horreur comme on les aime : éprouvant, effrayant, étonnant, mais surtout, émouvant.
Alors, messieurs Bustillo, Maury, Barès, Chanfrault, Molon (pour ses superbes et très efficaces maquillages), Baxter (pour son montage) (tiens, le monteur attitré de Aja/Levasseur aussi…) merci à vous ! Et merci à toutes vos équipes !
Merci à vous tous. Vous nous avez offert un film d’horreur comme on les aime : éprouvant, effrayant, étonnant, mais surtout, émouvant.
Jipi
Cet article est dédié à la
mémoire de Monsieur François-Eudes Chanfrault, qui nous a hélas quittés
beaucoup trop tôt. Sa musique nous accompagnera, et nous inspirera, longtemps.
A l'intérieur, France, 2007
Réalisation : Julien Maury et Alexandre Bustillo
Scénario : Alexandre Bustillo
Interprétation : Alysson Paradis, Béatrice Dalle, Nathalie Roussel, François-Régis Marchasson
A l'intérieur, France, 2007
Réalisation : Julien Maury et Alexandre Bustillo
Scénario : Alexandre Bustillo
Interprétation : Alysson Paradis, Béatrice Dalle, Nathalie Roussel, François-Régis Marchasson
Interview de Julien Maury et Alexandre Bustillo
Festival de Gerardmer 2014
Le morceau "Artic Love"
Crédits photographiques : Maxppp pour lejdd.fr,
notrecinema.com, mad-movies.com, et quelques captures d’écran personnelles
réalisées à partir du DVD édité par Pathé
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