vendredi 17 juin 2016

Au cinéma : THE WITCH

La voici donc enfin ! Cette bête de concours qui défraye toutes les chroniques et n'a de cesse de faire parler d'elle partout où elle passe ! Le film censé redorer le blason de la peur au cinéma : The Witch, ou la persécution d'une paisible famille de fermiers par une vicieuse sorcière.
Alors, qu'en est-il, finalement, de cette œuvre qui s'est frayée un chemin jusqu'à nos salles obscures, précédée à la fois des plus hauts éloges (pour certains, c'est juste le meilleur film d'horreur de ces dix dernières années !), comme des pires critiques (pour d'autres, ce n'est rien d'autre qu'un ballon de baudruche déjà dégonflé) ?





Nouvelle-Angleterre, XVIIème siècle. Père de cinq enfants, William vit au sein d'une communauté de colons avec toute sa famille. Banni suite à un procès, il part avec femme et enfants, et construit de ses mains une petite et modeste ferme, sur un terrain isolé, à la lisière d'une forêt. Mal lui en a pris, car celle-ci semble bien abriter une sorcière, qui va se faire un malin plaisir de harceler les pauvres fermiers.

Le réalisateur, Robert Eggers, a lui-même grandi dans le Massachusetts, un des États formant la Nouvelle-Angleterre, et décrit sa terre natale comme encore très fermement emprunte des souvenirs et légendes ayant trait à la sorcellerie (c'est dans cette région qu’eut lieu  le fameux procès des sorcières de Salem en 1692). L'objectif qu'il s'était fixé, s'inspirant de notes et comptes rendus de procès de l'époque, était de recréer un XVIIème siècle extrêmement fidèle à la réalité de ce qu'il fut, afin d'ancrer son histoire dans un socle solidement crédible.

Une petite ferme paisible...

De ce point de vue, le film est une réussite incontestable. Décors, naturels ou non, costumes et casting sont criants de vérité. Épaulés par une très belle photographie automnale de Jarin Blaschke, ils permettent une immersion totale dans l'époque trouble des premiers colons anglais du Nouveau Monde.

Le film s'ouvre sur une scène de procès qui ne laisse aucun doute : chrétien on ne peut plus fervent, William est un homme fort, très sûr de lui, pétri de convictions profondes, faisant vivre sa femme et ses enfants dans une piété de tous les instants. Sommé de s'expliquer dans une affaire dont le spectateur ignorera tout, William répondra fièrement être sûr de son bon droit, car investi d'une croyance bien plus sincère et puissante que celle dont se réclament ses accusateurs. Il acceptera ainsi le bannissement avec une grande fierté, et emmènera sa petite famille vivre, non d'amour et d'eau fraîche, mais de foi et de dur labeur, dans l'isolement le plus total.

Prière de rigueur avant un repas en famille

A partir de ce moment, aucun autre personnage ne viendra offrir un regard extérieur sur les évènements qui vont nous être contés. Le récit s'enferre dans une sorte de huis clos en plein air, avec pour seuls protagonistes les membres de cette famille imbibée de ferveur religieuse jusqu'à la lie.
Un bébé qui disparaît inexplicablement, des récoltes désastreuses risquant de les pousser à la famine, un frère et une sœur qui se comportent étrangement... William et les siens vont faire face à tous ces évènements, avec pour seule base de réflexion une foi chrétienne poussée à l'extrême. Par conséquent, tout ce qui leur arrive ne peut qu'être l’œuvre du Démon, ou d'un serviteur qui lui serait dévoué corps et âme.
Sans référent extérieur, difficile de savoir si les apparitions de la sorcière et ses différentes actions sont bel et bien réelles, ou le fruit d'un délire collectif guidé par une croyance exacerbée.
Toutes ces scènes font d'ailleurs intervenir une imagerie relevant du folklore populaire le plus typique, avec vieilles sorcières échevelées et ricanantes, bouc noir au regard inquiétant, sabbat nocturne autour d'un bûcher... Bref, exactement le type d'images véhiculées par les croyances de l'époque. Soit, exactement ce que les membres de la famille s'attendent à voir s'ils se retrouvaient réellement confrontés à une sorcière.

Caleb, le jeune fils de la famille, tente ce qu'il peut pour aider les siens
 
Mythe ou réalité, récit fantastique ou pur délire religieux poussant une famille entière à la folie, le film ne dispense ses indices qu'avec parcimonie, ce qui ne manquera pas d'en agacer plus d'un.
Par ailleurs, dans sa volonté de coller au réalisme le plus précis, le réalisateur refuse de faire usage de la quasi-totalité des artifices de mise en scène inhérents au genre horrifique, ne faisant pour ainsi dire aucune concession au spectaculaire. Même pas l'ombre d'un jumpscare en vue (ces plans destinés à faire sursauter le spectateur avec une entrée de champ ou/et un bruitage soudain), ce qui fait un bien fou, mais pourra paraître particulièrement âpre à certains.
Pour autant, Eggers, dont c'est là le premier long-métrage, s'y entend en matière d'ambiance, et parvient  très efficacement, au fil de son récit, à faire naître une angoisse sourde et glaciale,  allant crescendo, jusqu'à un final dans lequel éclate toute la folie et la bestialité de personnages poussés jusqu'à leur point de rupture.

A contre-courant de la majorité des productions horrifiques actuelles (telles Paranormal Activity et autres Annabelle), The witch est donc un film particulièrement rude, sec, et difficile à appréhender, car ne cherchant jamais à caresser son spectateur dans le sens du poil.
Avec une telle œuvre, Robert Eggers ne se fera pas que des amis, c'est certain, mais trouvera très certainement un écho favorable auprès des amateurs d'horreur à l'ancienne, de celle qui reposait davantage sur un scénario solide et une mise en scène rigoureuse, faisant la part belle au hors-champ, plutôt qu'aux effets faciles dont on nous abreuve trop souvent, et depuis trop longtemps.

Jipi 


The Witch, A New-England Folktale, USA/Angleterre /Canada/Brésil, 2015
Réalisation et scénario : Robert Eggers
Interprétation : Anya Taylor-Joy, Ralph Ineson, Kate Dickey, Harvey Scrimshaw
 



La bande-annonce en VO


La bande-annonce en VF


Crédits photographiques : theverge.com, lescritiqueurs.com et comingsoon.net

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