mercredi 27 juillet 2016

"C'est quand-même un beau cadeau de cinéma quoi..." - Julien Seri

En voilà un qui vient de loin !
Night Fare, c'est le bébé d'une poignée de têtes brûlées suicidaires, qui, un soir, se sont dits : "Allez merde quoi, on fait un film !!!". Et ils l'ont fait, avec très peu de moyens, en très peu de temps, mais avec beaucoup d'envie.




COMME UN GROSSE ENVIE...


Night Fare, c'est un délai d'à peine trois mois entre le premier mot jeté sur une page blanche, et le dernier "Coupez !" prononcé sur le plateau. C'est quinze co-producteurs différents, une campagne de financement participatif ayant mobilisé 789 contributeurs sur Ulule, parmi lesquels des réalisateurs aussi connus et respectés que Jean-François Richet (Ma 6-T va crack-er, Assaut sur le Central 13, Mesrine...) et Mathieu Kassovitz (La haine, Assassin(s), Les rivières pourpres, L'ordre et la morale...), et ayant finalement glané un peu plus que les 50 000 euros visés pour le tournage de certaines cascades importantes.
Night Fare, c'est à peine 24 jours (!!!) de tournage décidés à l'arrache, sur un coup de tête, par trois copains réalisateurs qui ne voulaient pas voir l'un des leurs raccrocher sa caméra, après un trop grand nombre de projets ayant fini dans le mur.
Night Fare, c'est un slasher (films dans lesquels un mystérieux assassin pourchasse sans répits ses victimes, comme Halloween, Vendredi 13, Scream...), un film de genre français, tourné en totale indépendance, et avec une liberté artistique complète. Du moins, aussi complète que ce que son petit, minuscule, microscopique budget le lui permettait. Pas le choix, étant donné l'extrême frilosité avec laquelle les producteurs ayant pinions sur rue considèrent les genres du fantastique et de l'horreur par chez nous.
Au final, Night Fare, c'est moins de un million d'euros de budget (vraiment pas grand chose au regard des canons actuels de production, même en France. A titre de comparaison, Camping 3 a coûté dix fois plus cher !), et un film qui a vraiment de la gueule, et du cœur !

On part en vacances, ou on fait un film ?!

En 2015, Julien Seri a déjà 22 ans de carrière derrière lui, plus de 500 spots publicitaires à son actif, 2 téléfilms, 2 épisodes de séries télé (dont un pour Sable Noir, l'anthologie fantastique de Canal +), et 2 long-métrages cinéma.  On passera pudiquement sous silence l'expérience Yamakasi (2001), qui s'est achevée par un double procès avec son producteur Luc Besson, et on se concentrera donc sur Les fils du vent (2004) et Scorpion (2007).
Deux œuvres hélas peu mémorables, car indubitablement plombées par un incroyable défilé de clichés et de lieux communs, mais témoignant malgré tout de la généreuse sincérité de leur auteur, qui, féru d'arts martiaux depuis son enfance, y défend des valeurs qui lui sont chères, comme le droit à une seconde chance, le respect, l'honneur et le dépassement de soit.


Julien Seri (à droite), sur le tournage de Night Fare



Au cours des huit années qui séparent Scorpion de Night Fare, Julien Seri écrit, co-écrit, et développe pas moins de six projets de long-métrages, dont aucun ne trouvera, hélas, la voie des plateaux de tournage, malgré le savoir-faire technique indéniable de leur auteur (ses spots publicitaires lui ont valu de nombreux prix à travers le monde),
Las, éreinté, Julien Seri prévient alors son entourage : il a pris sa décision, et compte arrêter définitivement le cinéma. Parmi ses amis, le réalisateur Pascal Sid (Derrière les murs, 2011) et Paul Mignot, cameraman ayant déjà réalisé un certain nombre de courts, refusent d'entendre un tel discours. Ils échangent quelques coups de fils, puis contactent finalement leur ami, avec l'intention de produire son quatrième long-métrage : "Bon, on part en vacances, ou on fait un film ?!"
Un appel que Julien Seri ne peut décemment pas refuser. Il met lui-même quelques billes dans le projet, et contacte un quatrième larron de sa connaissance, le producteur Raphaël Cohen (Le libertin, le documentaire C'est dur d'être aimé par des cons, ou encore la série de Olivier Assayas, Carlos), qui accepte de s'embarquer avec eux dans l'aventure. Et vogue la galère, sachant qu'à ce moment précis, ils ont trois mois pour écrire, financer, et tourner un film, pour lequel ils n'ont encore aucune histoire.
Julien Seri se souvient alors d'une idée qui lui a été pitchée par un ami, celle d'un chauffeur de taxi qui se lance à la poursuite de clients indélicats ayant omis de régler leur course.
Voilà une idée simple, efficace, et parfaitement adaptée au tournage d'une petite série B sans prétention. Dont acte.

TAXI BASKETS !


 Chris (Jonathan Michael Howard) et Luc (Jonathan Demurger), deux amis en froid qui ne se sont pas vus depuis plusieurs années, se retrouvent à Paris, autour de Ludivine (Fanny Valette), dont les charmes ne semblent pas étrangers à la tension qui règne entre les deux hommes. Après une fête trop arrosée, les deux garçons prennent un taxi, mais se sauvent sans payer leur course. Bien mal leur en a pris, car le vindicatif chauffeur va les poursuivre toute la nuit au volant de son inquiétant bolide...

Sur le papier, là, comme ça, sur la foi de ce ptit pitch mignon, Night Fare ressemble à un croisement entre le DUEL (1971) de Spielberg et Halloween (1978) de John Carpenter. Un slasher motorisé assez simple, dans lequel deux têtes-à-claques vont être poursuivies par un tueur sans scrupule au volant d'une grosse cylindrée rugissante.
Et dans les faits, c'est ce qu'il est. Mais pas que...


La menaçante monture du Driver...

Manque de moyens, mais non d'ambitions !


Après une courte, simple, et efficace exposition de ses personnages et des liens qui les unissent, jouant davantage sur les regards que sur les dialogues explicatifs, Seri fait rapidement entrer en scène son mystérieux chauffeur de taxi, et lance le départ d'une course-poursuite urbaine de près d'une heure.
Et là, premier constat, pour un film shooté rapidement, en quelques semaines, et ayant bénéficié de très peu de moyens et de préparation, et bah, ça a de la gueule ! C'est même carrément beau en fait ! Franchement, on n'aurait jamais pensé que la banlieue de la capitale, Saint-Quentin-en-Yvelines en l'occurrence, puisse être aussi photogénique, surtout de nuit.
Un constat d'autant plus remarquable que, petit budget, et tournage-guérilla oblige, le chef-opérateur Jacques Ballard (caméraman spécialisé dans les prises de vues sous-marines, et n'ayant alors éclairé qu'un long (Noor, Guillaume Giovanetti & Cagla Zencirci, 2012) et une poignée de courts), n'a travaillé, sur l'ensemble du film, qu'avec l'éclairage public de la ville (dont il exploite intelligemment la palette, allant d'un blanc glacial à un jaune orangé plus chaleureux), et quelques lampes torches. Mais le fait est là, Night Fare est vraiment beau à regarder. D'autant plus que Seri a fait le choix du scope, pour une image large, propice à mettre en valeurs ses décors urbains.

Dés son générique d'ouverture, le réalisateur s'ingénie à amener une petite touche de fantastique, en filmant le Driver et sa voiture dans des décors baignés d'inhabituelles lumières vertes et rouges, qui rappelleront aux amateurs les grandes heures du Suspiria (1977) de Dario Argento. Un film ayant traumatisé plus d'une paire de rétines (dans le bon sens du terme) et devenu une référence esthétique incontournable pour le fantastique et l'horreur cinématographiques contemporains (voir The Neon Demon, le dernier Nicolas Winding Refn, sorti en 2016 !).


Le sublime Suspiria, de Dario Argento


Ainsi baignée de rouge, et cadrée dans des contre-plongées accentuant encore davantage sa déjà imposante calandre, la voiture du Driver (Une Chrysler 300 C noire très massive) a tout d'un prédateur monstrueux parti en chasse.   
D'ailleurs, ayant intelligemment conscience des limites de ses moyens, Seri ne joue à aucun moment, ce qui ne manquera pas d'en décevoir certains, la carte de la poursuite automobile. Les victimes sont à pieds, et, où qu'elles aillent, le Driver les retrouve (une constante du slasher), sa voiture les traquant patiemment, surgissant d'un angle de rue, à un rond-point, ou tout simplement d'une place de parking.

Un méchant qui en impose !

Un Driver que Seri iconise d'ailleurs au maximum, le cadrant avec soin et amour, dans des poses qui mettent joliment en valeur la carrure de son interprète, Jess Liaudin, un ancien champion de MMA.


Jess Liaudin prête son impressionnante carrure au Driver


Au même titre que son véhicule, lui-même se voit ainsi entouré d'une aura quasi-fantastique, notamment lorsque, catana en mains, il décime à lui tout seul une demi-douzaine de personnes , dans une scène de combat surprenante de sécheresse et de brutalité. En quelques secondes, à raison de deux ou trois plans maximum par victime, le Driver fait le ménage de façon impressionnante, dans une scène qui ne l'est pas moins.
Coup double pour le réalisateur, qui, n'ayant de toutes façons pas la possibilité de tourner une grande scène de bagarre flamboyante, se sert de ses contraintes, techniques, et budgétaires, pour caractériser son personnage. Le Driver frappe pour tuer, impitoyablement, et y parvient presque systématiquement. Pas de grosse baston donc, mais un massacre à la chaîne, implacable, méthodique, rapide, rendant son auteur encore plus effrayant.
 Une scène courte, mais d'une rare violence, glaçante d'efficacité, notamment grâce à un découpage d'une redoutable précision.


Le Driver dans ses œuvres : "Attention chérie, ça va trancher !"

Notons également l'intelligent usage du compteur du taxi. Régulièrement rappelé à nos mémoires (à la manière du compteur de 24 heures chrono), il permet à la fois de maintenir la tension (la dette ne cesse d'augmenter), et d'illustrer le temps qui s'écoule tout au long de la nuit.
Ainsi, le film remplit tranquillement son contrat, assurant un quota raisonnable de frissons, dans une traque qui pousse le spectateur à scruter le moindre recoin de l'image (le format large du scope se révèle, ici aussi, primordial), à la recherche d'un indice trahissant la présence du dangereux chauffeur ou de son véhicule.

Un casting impliqué

Mais si Seri filme amoureusement son méchant, il n'en oublie pas pour autant ses principaux protagonistes. Et pour cela, il peut s'appuyer sur son trio de comédiens principaux.
En effet, le casting est une des grandes réussites du film. Les deux Johnathan (Howard, et Demurger), se complètent à merveille (avec une mention spéciale à Jonathan Demurger, qui rend parfaitement insupportable ce petit con de Luc !), et rendent parfaitement crédibles leurs houleuses retrouvailles, tournant autour d'un secret aussi difficile à évoquer pour l'un que pour l'autre, et d'un triangle amoureux les unissant à la craquante Fanny Valette.


Chris (Jonathan Michael Howard) et Luc (Jonathan Demurger) tentent d'échapper à la colère du chauffeur de taxi

L'évolution de leurs relations apportera le cœur nécessaire au spectateur pour aimer ces personnages de prime abord plutôt agaçants, mais finalement attachants.
Une alchimie d'autant plus complexe à trouver que, le personnage de Chris étant britannique, et interprété par un Britannique, la grande majorité des dialogues est en anglais (une astuce intelligente pour exporter plus facilement le film à l'étranger). Mais les trois comédiens se sortent à merveille de l'exercice, qui ne constitue en aucun cas un frein à la qualité de leur jeu, ce qui n'était, sur le papier, pas forcément gagné.
On saluera également la performance des deux acteurs lors d'une étonnante scène de bagarre, filmée en plan-séquence (donc sans coupure), qui rappellera, par son réalisme, son pathétisme et sa durée, la fameuse baston des héros de They live (Invasion Los Angeles, John Carpenter, 1988). Une référence logique pour un film qui, de son histoire à ses choix esthétiques, en passant par la très sympathique BO composée par Alex Cortes, n'a de cesse de nous ramener au cinéma des 80's.


Les seconds rôles ne sont pas en reste, et pour un gang de dealers hélas trop caricaturaux, on a droit à un mémorable Edouard Montoute en flic ripoux et quelque peu teigneux. Shootée, là aussi, en plan-séquence, sa première apparition, au cours de laquelle il rackette nos deux "héros", a de quoi marquer les esprits, tant le comédien parvient à rendre son personnage immédiatement vraisemblable. Pour un peu, on regretterait de ne pas le voir davantage à l'image.

Jonathan Demurger (à gauche) face à Edouard Montoute (au centre)


Un slasher, mais pas que...

Mais le véritable coeur de Night Fare bat ailleurs.
Julien Seri le répète volontiers à longueurs d'interviews : du point de vue scénaristique, comme de celui de la mise-en-scène, un slasher pur et simple ne nourrissait pas suffisamment sa créativité. Il lui fallait emmener ses personnages, son histoire, son film, ailleurs.
Si l'on peut déplorer ce léger manque de considérations pour un genre de toutes façons habitué depuis longtemps aux dénigrements les plus divers, le fait est que ce que tentent le réalisateur et son scénariste est pour le moins audacieux.
Dans le dernier quart d'heure du film, ils nous servent un joli rebondissement, nous faisant envisager le Driver et ses motivations sous un angle différent. Pas exactement un twist, puisque certains indices nous sont donnés ici ou là, au cours du film, mais une intéressante redistribution des cartes, introduisant une ambiguïté morale qui ne manquera pas d'alimenter quelques débats.


Patiemment, derrière son volant, le Driver attend...


Cela étant dit, et malgré les intentions de base des auteurs, ce dernier quart d'heure n'éloigne pas tant que ça le film des thématiques habituelles du slasher telles que définies dans les années 70 et 80 par ses plus fidèles représentants, Michael Myers et Jason Voorhees.
Nous n'en dévoileront pas davantage, afin de ne gâcher la surprise à personne, mais sachez que, là encore, en cherchant avant tout à optimiser les moyens à leur disposition, Seri et son équipe font preuve de créativité, d'audace, et ne bâillonnnent  à aucun moment leurs ambitions. C'est même pour eux l'occasion de nous gratifier d'une séquence particulièrement surprenante, et très réussie... Pour peu que l'on adhère à l'idée.

De retour aux affaires !

Au final, Night Fare, par son ambition scénaristique autre, comme par ses choix esthétiques marqués, divisera certainement un public qui aurait du lui être naturellement acquis, fait et cause.
On ne s'en plaindra pas, le film y gagnant une identité propre, lui permettant de se démarquer singulièrement du tout-venant des productions du genre.
Probablement pas la moindre des fiertés de son réalisateur, qui aurait pu signer là son dernier long-métrage. Mais l'expérience créative foisonnante qu'a constitué pour lui la réalisation de Night Fare, ainsi que son accueil, critique et public, globalement bienveillant (une première pour Julien Seri, habitué des quolibets et moqueries cyniques...), semblent lui avoir redonné goût dans ce métier qu'il était pourtant sur le point d'abandonner.


Le Driver prend la pause devant son imposant taxi

Car avant même sa sortie française en janvier 2016, le film avait déjà parcouru le monde à travers une vingtaine de festivals, dans lesquels il fut souvent très remarqué, obtenant même le prix du meilleur film lors du Mile High Horror Film Festival de Denver en 2015. 
Pas peu fier de son bébé, et de la belle aventure humaine qui lui a donné naissance, Julien Seri semble bien être de retour aux affaires. Le réalisateur a en effet déjà deux nouveaux projets en développement, dont un qui se tournera prochainement au Brésil (ou en Chine, les informations divergent...), et souhaite ardemment plancher sur un Night Fare 2, qu'il a amorcé via un court plan caché dans le générique de fin du premier.
En voilà un qui peut remercier ses copains, ceux qui on osé l'appeler un jour en lui disant : "Bon, on part en vacances, ou on fait un film ?".



Jipi



Pour information, Night Fare est disponible depuis mai 2016 dans une belle édition bluray pleine de bonus, pour la modique somme de 14,99 € ! Aucune raison, donc, de ne pas se faire plaisir, tout en soutenant la cause de cette petite production indépendante.



Night Fare, France, 2015.
Réalisation : Julien Seri
Scénario : Cyril Ferment, Julien Seri, Pascal Sid, Tarubi
Interprétation : Fanny Valette, Jonathan Demurger, Jonathan Michael Howard,
Jess Liaudin, Edouard Montoute 



La première bande annonce de Night Fare



La seconde bande annonce de Night Fare, après la tournée des popotes




Trois courts extraits de Night Fare, dont la fameuse scène avec Edouard Montoute , tous en provenance du compte officiel de Daigoro Films, la société de production de Julien Seri






Le making of de Night Fare : "On part en vacances ou on fait un film ?"
 


Une intéressante interview de Julien Seri



Cadeau : le clip officiel du morceau "Le Perv",  de Carpenter Brut, que l'on peut entendre dans le générique de fin et sur les bandes annonces de Night Fare 

 


Crédits photographiques : borntowatch.fr, darksidereviews, paulmignot.com, mondocine.net,ecranlarge.com, screenmusings.org, imdb.com



















1 commentaire:

  1. Hello, j'ai vraiment aimé ce film, comme bcps de de mes amis cinéphiles, amateurs du genre...
    les slashers ,survival français se font tellement rares, et c'est bien dommage car le genre horrifique ne manque vraiment pas d'amateurs ... Aja reste le plus apprécié et le plus connu, je pense...
    Pour Kassovitz, et ses thrillers, des commandes pour certains, ne m'ont pas vraiment convaincue ( Gothica et Les Rivières Pourpres ).Assassins , La Haine, et L'Ordre Et La Morale sont au contraire, des œuvres qui m'ont marquée au fer blanc ...
    Bref, Bravo, pour cette chronique très complète, j'espère que tu reçois assez de retours , pour te motiver à continuer dans cette voie ...J'avoue que je ne prends pas tjrs le temps de lire les critiques d'amis bloggers comme Bruno Matéi , que pourtant, j'aime bcps ...Et ça demande tellement d'heures de travail !! Je m'y suis essayée une x, Pour The Ring (romans et films) mais je ne suis pas du tout satisfaite de moi,lol, bien que certains amis m'aient encouragée à continuer...
    PS: J'ai pas encore vu le dernier film de Refn, hésite pas à me faire tourner ta critique, Il est pour moi un véritable génie , tout autant que Lynch ou Kubrick !!!

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