Non, Suicide Squad n'est pas le grand film de super méchants qu'il aurait du être. En fait, il ne s'agît même pas d'un film de sales gosses...
Oh, la faute n'en incombe certainement pas uniquement à son réalisateur, David Ayer (End of Watch, Au bout de la nuit, Sabotage). Nul doute que, une nouvelle fois, les pontes de la Warner soient venus foutre le bordel dans une production dont les coulisses demeurent encore bien obscures (une longue et très coûteuse séance de re-shoots ayant été organisée l'été dernier, pour améliorer le film, selon Ayer, et lui permettre d'étoffer ses scènes d'action, et non pour en changer la nature... Mouais...).
Il est étonnant, d'ailleurs, de voir à quel point ce studio est capable de prendre de surprenantes décisions, franchement audacieuses, mais aussi d'imposer des choix artistiquement désastreux, et ce, parfois, sur un seul et même projet.
Ainsi, laisser les coudées franches à Christopher Nolan pour faire ce qu'il voulait de Batman dans sa trilogie, quitte à ce que le résultat soit beaucoup plus cérébral que spectaculaire, était plutôt courageux. Ces films, d'une noirceur d'encre assumée, indiquaient une direction artistique plus audacieuse, plus dure, et plus adulte pour les oeuvres DC Comics (le studio d'éditions des aventures de Batman, Superman, Wonder Woman...), que celle définie par Marvel pour ses super héros (Iron Man, Thor, Captain America...), résolument tournés vers un public plus adolescent.
La Suicide Squad presque au complet, soit, de gauche à droite : El Diablo, Captain Boomerang, Killer Croc, Harley Quinn, Deadshot, Rick Flag, et Katana |
Il en allait de même pour le choix d'un réalisateur comme Zack Snyder à la barre de Man Of Steel, le reboot de Superman. Mais c'est aussi là que le bât commença à blesser. Probablement effrayés par le choix d'une structure narrative qui ne faisait apparaître son héros qu'après plus d'une heure de métrage, on sait que les grands décisionnaires de Warner ont imposé à Snyder et Nolan (producteur) de revoir leur copie, aboutissant in fine à une narration en flashbacks qui nie purement et simplement la thématique profonde du film, et en annihile de fait toute portée émotionnelle (comment faire monter la moindre tension autour de l'acceptation de ses pouvoirs par Clark, et ses premières apparitions en tant que Superman, quand on le voit sauver des gens en volant dés la première scène ?).
Loin d'être manchot, Snyder avait tout de même réussi à signer le meilleur film avec Superman depuis le tout premier, réalisé par Richard Donner en 1978 (pas difficile, diront certaines mauvaises langues, qui n'auront pas complètement tort...), et rempilé aussi sec sur sa suite, Batman Vs Superman.
Si c'était sans doute une mauvaise idée de lancer immédiatement l'affrontement entre ces deux icônes (Superman aurait bien eu besoin d'un film supplémentaire pour mûrir, et Batman d'au moins deux films, lui-aussi, pour nous être convenablement présenté dans la peau de son nouvel interprète, et dans ce nouvel univers où il est plus vieux, et nettement plus vindicatif), et si la version sortie en salle souffrait d'une narration trop elliptique laissant sur le carreau toute une partie du public ne connaissant pas les comics d'origine, ce second opus était tout de même loin de mériter les tombereaux de lisier qui lui sont tombés dessus. Notamment parce qu'il abordait sa thématique de manière courageuse et intelligente, les conséquences des interventions des super-héros, et leur responsabilité face à leurs actes, qui amenait ainsi logiquement à ce combat titanesque et tant attendu.
Harley Quinn (Margot Robbie) attend sagement "au fond" de sa cellule |
Un univers sombre et adulte, au sein duquel un ponte d'une agence de sécurité gouvernementale mettait sur pied un commando exclusivement composé de vicieux vilains. Certains anecdotiques, comme Captain Boomerang ou Slipknot, et d'autres beaucoup plus emblématiques, tels Deadshot (Will Smith en tueur à gages !), Harley Quinn, et surtout, son frappadingue fiancé, le Joker en personne (probablement le méchant de comics le plus mondialement connu !).
La bande-annonce envoûtait par sa tonalité très sombre, franchement mélancolique, nous promettant un thriller particulièrement désespéré, à la lisière du fantastique. Tout sauf un film de super-héros lambda bourré de gentils boy scouts en somme...
La photo nocturne de l'ensemble semblait soignée, et les personnages représentés y étaient, à priori, fidèles à leurs modèles de papier. On avait alors franchement hâte de découvrir comment de tels psychopathes pouvaient se retrouver obligés de faire front commun, qui plus est au service d'une société qui les traite comme des monstres.
Oh oui, à la vue de ce premier trailer, que tout cela pouvait être prometteur ! Il en avait tellement la bave aux lèvres, d'ailleurs, que l'auteur de ces lignes, votre serviteur, s'était religieusement refusé au visionnage de toutes les autres bandes-annonces qui n'avaient pas manqué de suivre, afin de préserver au maximum les sensations d'une découverte en salle. Celle-ci n'en fut que plus amère...
Car Suicide Squad, eu égard à son concept initial, est une sacrée douche froide !
La fameuse première bande-annonce de Suicide Squad, celle qui faisait naître tant d'espoirs...
Les choses ne commençaient pourtant pas si mal, avec le choix de David Ayer comme réalisateur. Auteur de polars très noirs et hautement recommandables (Au bout de la nuit (Street Kings), avec Keanu Reeves, et notamment écrit par James Ellroy, grand pape du polar littéraire américain, ou encore End of Watch ), et de films de commandos (Sabotage, Fury), certes pas toujours complètement réussis, mais empreints de la volonté de rendre une copie d'artisan appliqué et honnête, et d'une réelle passion du réalisateur pour ses sujets.
Et pour cause, Ayer étant lui-même un ex-militaire, et ayant grandi dans un des quartiers les plus durs de Los Angeles, au contact quotidien des gangs les plus violents.
Par ailleurs, aussi décevante soit-elle, son œuvre la moins recommandable à ce jour, Sabotage (2014), parvenait tout de même à beaucoup intriguer lors d'une première partie qui nous présentait les têtes brûlées d'un commando d'anti-héros peu fréquentables, que le réalisateur parvenait à humaniser et à rendre attachants, tout en les plongeant dans un univers brutal, à la violence frontale et singulièrement crapoteuse (avant de tout foutre en l'air dans un final convenu et incohérent, mais bon...).
Autant dire que si l'on ne pouvait légitimement attendre de miracle, Il y avait tout de même de larges chances que le boulot soit parfaitement honnête et soigné. Ayer semblait bien être l'homme de la situation pour réaliser un film rempli de super-salauds, qu'il saurait nous faire aimer, sans les trahir.
David Ayer (à gauche) dirige Will Smith, sur le plateau de Suicide Squad |
Hélas, on déchante assez vite...
Ainsi, la première partie est certes rythmée, voire enjouée, mais noie hélas l'exposition de l'histoire et des personnages dans une mise-en-scène de clip pleine de frime, arrosée d'une bande-son efficace, mais déjà entendue des millions de fois (Sympathy for the Devil des Rolling Stones, ou encore Without me d'Eminem...).
Pour bien être clair lors de la présentation de ses "héros", Ayer nous ressert même le bon vieux coup de l'arrêt sur image qui isole un personnage, et permet d'enchaîner sur l'apparition d'un panneau explicatif. Le procédé est facile, galvaudé, se veut cool, mais ne parvient hélas qu'à sentir le réchauffé, même si les auteurs y jouent à fond la carte de l'humour.
Ayer éclate ainsi sa narration entre ses diverses personnages, avec plus ou moins de bonheur, tous ne bénéficiant pas de la même qualité de traitement.
Si Deadshot et Harley Quinn, évidentes têtes d'affiche du groupe (et donc du film), bénéficient des présentations les plus longues et les plus détaillées, d'autres n'existent que comme clichés sur pattes, prévisibles et ennuyeux (El Diablo), voire n'existent pas du tout, ce qui est hélas le cas de quasiment tout le reste du Squad... Soit Captain Boomerang (qui, à priori, lance super bien ses boomerangs...), Katana (qui a un sabre qui enferme les âmes de ses victimes, mais ça ne lui sert à rien), Killer Croc (qui aime se baigner dans les égoûts), ou encore Slipknot (qui n'est là que pour le plaisir de la démo)...
On s'attendait, évidemment, avec autant de personnages centraux, à ce que certains soient davantage développés que d'autres, mais que les trois quarts de la bande se voient ainsi sacrifiés, c'est déjà, en soit, un gros problème.
El Diablo (Jay Hernandez) en pleine action |
On aurait encore pu s'en accommoder, et jouir d'un bon petit blockbuster décomplexé plein de vilains méchants au comportement borderline, hélas...
Hélas, dans tout Suicide Squad, il n'y a guère qu'un personnage qui fasse honneur à cette idée initiale, et ne se révèle réellement bad-ass. Et ce n'est pas forcément le plus évident...
Deadshot ? Un père dévoué, tellement dingue de sa fille qu'il se laisse mettre en taule pour ses beaux yeux, et n'en sortira qu'à condition de pouvoir les revoir (on se disait aussi, Will Smith en méchant...).
Harley Quinn (dont l'interprète, Margot Robbie, est juste parfaite !) ? Son rêve le plus cher est de devenir une gentille petite femme au foyer, élevant ses rejetons dans sa jolie maison de banlieue (le Rêve Américain quoi !!! Pour Harley Quinn ?!?! La fiancée du Joker !!!!)...
El Diablo ? Il vit son pouvoir de pyrokinésie comme une malédiction, incapable qu'il est de se contrôler quand il est énervé, ce qui l'aura poussé à commettre l'irréparable. Autrement dit, il a beau être chef de gang, il ne veut surtout faire de mal à personne...
Voilà, hélas, la Suicide Squad tant attendue de David Ayer : des personnages inexistants, des clichés ambulants, ou de pauvres ères qui ne songent qu'à s'intégrer au mieux dans cette société dont ils sont pourtant censés avoir rejeté toutes les bases.
Le seul personnage, donc, à se comporter un minimum comme un beau salopard, c'est Amanda Waller, la patronne du Squad, qui se révèle vite capable de mettre la morale de côté pour garder tout son petit monde sous sa coupe.
Amanda Waller (Viola Davis), la plus imprévisible des membres du Suicide Squad !!! |
A aucun moment le film n'assume son concept initial : mettre des (vrais !!!) super vilains allumés dans un même bateau, et voir comment ils s'en tirent.
D'ailleurs, David Ayer (D. Ayer... Dayer...d'ailleurs ! Mouha ha ha...) manifestement conscient du problème, tente de nous rassurer sur ce point, via les dialogues. C'est bien simple, les membres du Squad passent leur temps à se rappeler mutuellement qu'ils sont méchants, et que leur truc, ce qui leur donne du plaisir, c'est de faire le mal. Seulement voilà, le dire, c'est bien. Mais le faire, c'est manifestement une autre paire de manches...
Déjà donc sérieusement handicapé par un tel reniement scénaristique, le film achève de se planter complètement sur les autres tableaux.
L'histoire, par exemple... Si encore elle était intéressante, ou au moins bien racontée... Mais même pas. Pourtant assez simple (un grand méchant très ancien sur Terre, mais endormi depuis un bail, décide qu'il est temps de revenir et de botter le cul de l'Humanité...), elle paraît bien longuette et laborieuse, notamment à cause d'un montage aux pâquerettes qui n'est jamais, ou si peu, clair sur les enjeux en cours.
Killer Croc (Adewale Akinnuoye-Agbaje), et son maquillage fort réussi : "T'as pas une gueule de porte-bonheur..." |
L'antagoniste principal, le grand méchant à abattre, est présenté vite fait en quelques plans et un petit dialogue rapides, ayant probablement à cœur de garder le rythme, mais ne parvenant finalement qu'à rendre le tout encore plus confus. Tel quel, partant pourtant d'une idée intéressante, mais complètement inexploitée, le personnage est extrêmement diffus, transparent, et a bien du mal à faire naître le moindre sentiment d'inquiétude, ...
D'autant plus que son phénoménal plan diabolique, et l'arme qui lui est nécessaire pour le mener à bien, ont déjà été vus mille fois dans d'autres films de héros plus ou moins supers, et feront bailler d'ennui même les plus indulgents des mangeurs de pop-corn.
Non content de louper cet aspect déjà fondamental du film, Ayer persiste, et balance sa troupe dans le feu de l'action sous un prétexte carrément volé (mais non, c'est un hommage !), au New York 1997 (Escape from New York, 1981) de John Carpenter, avec micro-bombes implantées sous la peau, etc. Tiens, d'ailleurs, au passage, en voilà un, un film dont le héros est peu recommandable, et que l'on aime quand-même, sans qu'il n'ait à renier sa nature profonde...
Bon, passe encore. Ayer paye son tribut à ses aînés et assume certainement la référence. On va se rattraper sur quelques bonnes scènes d'action ?
La Suicide Squad tente de faire front, et Harley a la banane |
Hélas, ces dernières ne sauveront rien, la plupart d'entre elles étant franchement brouillonnes et illisibles. D'autant que les vilaines créatures contre lesquelles se battent nos protagonistes sont visuellement très mal définies : d'espèces de gros tas de boue pustuleux en cgi qui sautent partout.
A peine sauvera-t-on un court passage dans lequel Deadshot en éradique un certain nombre à lui tout seul (normal, c'est Will Sm... euh, Deadshot quoi !), laissant derrière lui une poignée de militaires complètement pantois.
Margot Robbie attendant, assise sur une carcasse de voiture, ses larmes se mêlant à la pluie dans les coulures de son maquillage, sera aussi une des rares images marquantes du film, tout comme son langoureux baisé échangé avec le Joker, dans une cuve pleine de produits chimiques. Vous en conviendrez, ça fait peu de choses...
Le Docteur Harleen Quinzel (Margot Robbie) sombre sous le charme de son patient, le fascinant Joker (Jared Leto) |
Le Joker, d'ailleurs, qu'en est-il ?
Après Jack Nicholson en 1989 (Batman, Tim Burton), et Heath Ledger en 2008 (The Dark Knight, Christopher Nolan), Jared Leto est donc le troisième comédien à incarner ce personnage mythique sur grand écran, en à peine trente ans.
Collant à la volonté de DC et Warner d'inscrire leurs personnages dans un univers réaliste, Ayer et son interprète nous proposent donc ici un Joker finalement moins carnavalesque que ce que les différentes photos et bandes-annonces avaient pu nous laisser croire.
Avec ses tatouages, ses grosses chaînes, ses bagouzes dorées, et sa garde robe où se côtoient survets cradingues et smoking impeccable, on dirait ce Joker tout droit échappé d'un clip de gangsta-rap sous amphètes. Un vrai chef de gang bling bling !
Le Joker prend une pause |
Une option effectivement plus réaliste, servie par le jeu nuancé de Jared Leto, qui a le bon goût de ne pas en faire des tonnes, mais desservie par un scénario ne le faisant apparaître que sporadiquement, essentiellement au travers de flashbacks. Somme toute logique, puisqu'il ne fait pas partie du Squad.
Mais le fait est que ce Joker là est effectivement plutôt réussi, différent du rocambolesque de Jack Nicholson, ou du Seigneur du Chaos incarné par Heath Ledger.
Chacun avait déjà son préféré, pas de raison que cela change. Celui de Leto restera probablement comme le moins inquiétant, le moins perturbant, même s'il est difficile de se faire une réelle idée, le film étant loin d'en faire un élément central ( la plupart des scènes du comédien ont été coupées au montage...).
Le Joker et Harley aiment taquiner leurs partenaires |
Donc nous avons : des méchants pas méchants et très édulcorés, un scénario confus et guère passionnant, des vilains très mal définis et aucunement inquiétants, les trois quarts des personnages dépourvus de la moindre épaisseur psychologique, des scènes d'action brouillonnes...
Bon, certes, le film est rythmé, et peut amuser, voire même divertir, mais il passe complètement à côté du concept si excitant qui en était à l'origine, et en devient donc franchement irritant.
On a désormais l'habitude avec Warner, il y a fort à parier qu'une version longue voit le jour en vidéo (étant donné le grand nombre de plans vus dans les bandes-annonces, et finalement absents du montage exploité en salles...).
Pour autant, on doute franchement que quelques scènes supplémentaires ne bouleversent littéralement l'esprit d'un projet manifestement pensé comme le film de super héros lambda auquel il aurait du, au contraire, adresser un formidable majeur fièrement tendu !
Vraiment dommage, on aurait tellement adoré l'adorer, cette Suicide Squad...
Jipi
Suicide Squad, Etats-Unis, 2016
Réalisation : David Ayer
Scénario : David Ayer
Interprétation : Margot Robbie, Will Smith, Viola Davis, Joel Kinnaman, Cara Delevingne,
Jared Leto, Jay Hernandez, Adewale Akinnuoye-Agbaje, Jai Coutney,
Karen Fukuhara...
Jared Leto, Jay Hernandez, Adewale Akinnuoye-Agbaje, Jai Coutney,
Karen Fukuhara...
Crédits photographiques : imdb.com, allociné.fr
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