Carmelo Johns - American Nightmare 2 : Anarchy
Ah, on les aime bien les American Nightmare (The Purge en VO) ! Ils ont comme un petit goût de bonne vieille série B à l'ancienne, rappelant les Assaut (Assault on Precinct 13, 1976), New York 1997 (Escape from New York, 1981), et Invasion Los Angeles (They live, 1988) de John Carpenter. Toutes proportions gardées hein, DeMonaco n'étant pas le nouveau Big John non-plus...
De bonnes bases
Des films certes loin d'être parfaits, un poil trop caricaturaux sans doute, mais qui, jusque ici, avaient su trouver une certaine forme d'équilibre entre le divertissement, et une dénonciation très agressive du culte des armes si vivace sur les terres de l'Oncle Sam.
Au centre de ces films, le concept de "La Purge". Une idée très simple : une nuit par an, douze heures durant, tous les crimes, y compris (et surtout) le meurtre, deviennent légaux. Pas de police, pas de secours. Chacun pour soit ! Ce, dans le but de permettre à chaque citoyen de se purger des frustrations engrangées durant toute l'année, et ainsi de faire baisser le taux de criminalité, et de ramener la paix dans un pays au bord de l'explosion. Un décret voté par les Nouveaux Pères Fondateurs, une sorte de parti républicain extrémiste au pouvoir.
Une idée de génie (si si !), qui permet au scénariste et réalisateur James DeMonaco d'exprimer clairement ses peurs et ses doutes quant aux rapports que ses concitoyens entretiennent avec les armes, la violence qui en découle fatalement, mais aussi les inégalités entre les différentes classes sociales, et les dérives d'une société qui paraît avoir perdu ses repères les plus évidents. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que DeMonaco semble être quelqu'un de terrifié...
Le premier volet de la franchise, American Nightmare (The Purge, 2013), montrait comment un père de famille était parvenu à faire fortune en vendant des systèmes de sécurité anti-Purge, alors qu'il en récuse le principe.
Reclus, avec femme et enfants, dans sa maison, devenue bunker pour cette fameuse nuit à laquelle il ne veut pas prendre part, il devait alors faire face à un siège en bonne et due forme, une bande de psychopathes ayant décidé de rentrer chez eux pour venir y chercher un pauvre ère qui y a trouvé refuge (on vous avait dit que Carpenter n'était pas loin...).
Ainsi, ce premier volet dénonçait joyeusement l'hypocrisie du système capitaliste, mettant en scène un bon Américain profitant d'une situation ignoble pour s'enrichir, au mépris de ses propres valeurs et convictions profondes. Les plus riches ont ici les moyens de s'offrir des systèmes de défense très performants, alors que les pauvres en sont réduits à courir, et à lutter pour leur survie (le film va même beaucoup plus loin, puisque les riches y considèrent ouvertement les pauvres comme de la chair à canon dont le seul rôle est de leur permettre de se purger !).
Deux des inquiétants assiégeants de American Nightmare |
Le scénario plaçait intelligemment ce père de famille face à ses contradictions et à son amoralité, le montrant prêt à livrer un innocent à une mort certaine, plutôt que d'essayer de le défendre, dans le seul but de sauver sa peau et celle de sa famille.
Certes, DeMonaco n'a pas le talent de Peckinpah, et son American Nightmare est loin d'être aussi âpre que Les chiens de paille (Straw Dogs, 1971), mais le bonhomme se montrait là tout de même incroyablement acide et nihiliste, sans pitié pour son pays (un personnage sur le point de tuer déclare "faire son devoir d'Américain !" !!!), tout en signant un home-invasion (film dans lequel des intrus tentent d'effrayer et/ou de tuer les habitants d'une maison, comme The Strangers, de Bryan Bertino (2008), ou You're next, de Adam Wingard (2011)) de très honnête facture, et finalement plutôt efficace.
Une séquelle plus "sociale"
Succès oblige, à peine un an plus tard, DeMonaco était de retour avec American Nightmare 2 - Anarchy (The Purge : Anarchy, 2014), qui prenait place cette fois directement dans les rues de Los Angeles, et montrait comment se déroulait une telle nuit en fonction de l'échelle sociale des individus, et comment cette fameuse Purge était instrumentalisée par ses instigateurs.
Ainsi, les plus nantis, voulant profiter et se purger, mais sans prendre de risques, se font directement livrer des victimes kidnappées au hasard par des gangs payés pour ça, qui donc ne purgent pas, mais "travaillent" en fait toute la nuit. Et surtout, des commandos de mercenaires, mandatés par les Nouveaux Pères Fondateurs, ont pour mission de faire le ménage et de tuer un maximum des habitants des quartiers les plus défavorisés, afin de réduire considérablement les dépenses publiques, et notamment les dépenses de santé.
Ici, DeMonaco se montrait encore plus virulent, continuant de critiquer vertement le rapport ambiguë des Américains aux armes, tout en politisant davantage son propos, en s'attaquant aux inégalités d'une société favorisant les riches, et affaiblissant les pauvres. Il se montrait particulièrement cynique lors d'un final où de riches familles participent à une sorte de gala, au cours duquel leurs malheureuses victimes sont lâchées dans un terrain de jeux, et chassées impitoyablement par quelques privilégiés ayant payé leur place à prix d'or.
Un des tristes sires de American Nightmare 2 : Anarchy |
Alors quand le réalisateur annonce la mise en chantier d'un troisième volet, entre le sous-titre choisi, "Election Year", et la teneur déjà très virulente des deux premiers, on ne pouvait que s'attendre à un propos politique plus féroce encore...
Las, James DeMonaco passe complètement à côté de son sujet, son manque de subtilité alourdissant définitivement une œuvre qui, au contraire, exigeait certainement plus de finesse que ses deux précédents efforts.
Des personnages... irritants
Leo Barnes (Franck Grillo, mutique juste ce qu'il faut), quelques années après les évènements de American Nightmare : Anarchy, où il tentait de se venger de l'assassin de son fils, est devenu responsable de la sécurité de la sénatrice Charlie Roan (Elizabeth Mitchell). Cette dernière est une fervente militante anti-purge (toute sa famille a été massacrée des années plus tôt lors d'une de ces nuits d'horreur), et une adversaire politique de taille pour les Nouveaux Pères Fondateurs, qui voient d'un très mauvais œil sa cote de popularité grandissante, à quelques mois à peine des prochaines élections. Ils vont donc profiter de la nouvelle Purge pour tenter purement et simplement de la faire abattre. Pendant ce temps, un gentil épicier, lâché par son assurance contre la Purge, se doit d'organiser la défense de son modeste commerce...
L'intro suit le cours désormais habituel du récit, exposant ses personnages lors de leurs préparatifs à la Purge annuelle. Ceux-ci sont hélas immédiatement plombés par une mièvrerie excessive, traçant des portraits grossiers dépourvus de la moindre originalité.
Dans le chapitre précédent, l'histoire de ce grand-père qui se "vendait" à une famille de riches pour leur servir de martyr, et ainsi permettre à sa fille et à sa petite-fille de toucher une forte somme d'argent, était à la fois émouvante et effrayante, filmée de manière très sobre.
Une "bonne famille", ayant loué les services d'un homme désespéré pour les besoins de leur propre Purge, dans American Nightmare 2 : Anarchy |
Mais ici, le gentil épicier noir du ghetto black de la ville est immédiatement agaçant, tout comme ses rapports avec la petite rebelle du quartier (dont il a, évidemment, percé à jour le grand cœur), et son jeune employé mexicain si sympathique, qui tente de s'offrir une plus belle vie que celle qu'il avait au pays, parce qu'on est aux États-Unis, et que le Rêve Américain, ça existe encore nom de nom !
Trop, c'est trop, et DeMonaco ne caractérisant jamais ces personnages autrement que comme de gros clichés sur pattes, totalement dépourvus de la moindre épaisseur psychologique, l'empathie ne prendra hélas à aucun moment.
Trop, c'est trop, et DeMonaco ne caractérisant jamais ces personnages autrement que comme de gros clichés sur pattes, totalement dépourvus de la moindre épaisseur psychologique, l'empathie ne prendra hélas à aucun moment.
D'autant plus qu'au bout d'une quarantaine de minutes, pour sauver un couple sur le point de se faire écharper, ils n'hésiteront pas un instant à massacrer, à coups de fusils et revolvers, à bout portant, un groupe d'une dizaine d'assaillants ! Et ce sans la moindre sommation, ni le moindre état d'âme, puisqu'au terme du carnage, le gentil épicier se présente clairement aux rescapés comme leur sauveur, un flingue fumant dans chaque main. Pas faux, mais pas clair non plus.
Les American Nightmare sont toujours très inventifs pour détourner les icônes les plus populaires des Etats-Unis |
Dilemme...
Il y a ici un évident dilemme moral, dans lequel le scénariste-réalisateur se prend lourdement les pieds, lui qui avait pourtant réussi, avec plus ou moins de finesse, à l'esquiver et à le dépeindre, dans ses deux précédents opus.
Car évidemment, un des aspects fondamentaux de la franchise, est l'opposition constante entre le discours de DeMonaco sur les armes, et le fait que ses "héros" doivent bien y avoir recours pour se défendre. Mais jusque là, il s'en était bien sorti.
Systématiquement, les "gentils" se voyaient opposés aux "méchants" dans une mécanique qui ne les poussait à prendre les armes et à riposter qu'en cas d'extrême urgence. En fait, dans le second volet, les deux héroïnes, Eva et sa fille Cali, ne tiraient même aucun coup de feu. C'était à Barnes qu'il incombait de les protéger.
Sorti la nuit de la Purge pour occire l'assassin de son fils, il s'arrêtait finalement pour aider les plus démunis que lui. Ceux qui ne savent, ou ne peuvent pas se battre. Il ne perdait jamais de vue sa quête de vengeance, mais privilégiait la protection de ses compagnons. Une telle façon de penser et d'agir, lui conférait de fait, auprès du spectateur, de manière inconsciente, une sorte de légitimité à prendre les armes et à tuer, tout en restant du bon côté de la morale (c'est certes un peu tordu, mais ça marche comme ça...). Ses deux protégées essayaient d'ailleurs de le dissuader d'accomplir sa vengeance, estimant que leur protection était sans doute une tâche bien plus noble.
Mais là, dans ce troisième chapitre, les "gentils" tuent. Et ils tuent sans rien ressentir de particulier.
Il faut voir, notamment, le personnage de la rebelle Laney (Betty Gabriel),écraser deux pin-ups en talons avec sa camionnette, avant de les achever à coups de fusil à pompe en pleine tête, dans une attitude particulièrement "cool", et réplique méchamment bad ass à l'appui : "Pequena Muerte is back bitches...". ('La Petite Mort est de retour, salopes...").
Un manque de cohérence incompréhensible de la part de James DeMonaco, qui avait su si bien cerner ces enjeux dés le premier film.
Masque immonde et Kalachnikov dorée, une citoyenne américaine prête à exercer son droit à la Purge |
Et ce manque de rigueur contamine hélas à peu près tous les autres aspects de ce troisième chapitre.
L'intrigue politique, par exemple, tourne autour de cette sénatrice et de son combat contre les Nouveaux Pères Fondateurs. Combat inspiré par ses convictions, certes, mais aussi par le massacre de toute sa famille quelques années plus tôt. Elle se ralliera pourtant sans sourciller à l'épicier pistolero et à son employé à la gâchette facile.
Par ailleurs, en plein siège de l'épicerie, elle n'hésitera pas un instant à réclamer une arme. Et pas pour sa défense personnelle, en dernier recours, non, mais bien pour participer activement à la défense des lieux, car enfin, je vous le demande, peut-elle rester ainsi les bras ballants ?
La cohérence et la crédibilité de la sénatrice s'effondrent littéralement dans cette scène. Dés lors, son combat pour stopper un attentat, qui ferait de l'un des Nouveaux Pères Fondateurs un martyr, perd toute forme d'intérêt.
La Purge ne respecte décidément rien... |
Ces gros vilains vicieux de purgeurs...
Dommage... Mais heureusement, il nous reste encore les méchants !
Car depuis le premier chapitre, DeMonaco prend manifestement un certain plaisir à créer des assassins particulièrement cinégéniques et charismatiques, arborant masques, tenues et armes customisées, les rendant réellement inquiétants.
Il faut saluer ici le travail de production design, et l’œuvre des différentes costumières et accessoiristes, qui rivalisent d'inventivité pour détourner les symboles les plus reconnaissables de l'Amérique, et les pervertir dans le sang.
Un masque d'un blanc sale portant grossièrement l'inscription "GOD", un gang se trimballant dans un bus scolaire jaune dont les vitres sont devenues de véritables meurtrières vomissant un chapelet de canons de mitraillettes, un groupe de jeunes gosses de riches en blazers et mocassins, brandissant d'énormes machettes, et les visages dissimulés derrière des masques aux sourires désagréablement figés...
Quand les purgeurs (purgistes ?) revisitent l'Histoire de l'Amérique, à leur sauce... |
Oui, DeMonaco s'y entend pour créer d'horribles monstres humains. Le réalisateur semble d'ailleurs aussi effrayé que fasciné par ses créatures, qu'il s'efforce de mettre au maximum en valeur à chacune de leurs apparitions.
Ah bah oui, mais...
Un procédé à double-tranchant. Ainsi filmés, ces assassins sont en effet plus effrayants, et incarnent à merveille la perversion d'une société ayant accepté une nuit de massacre comme seul moyen de lutter contre les frustrations qu'elle a elle-même engendrée.
Mais à force de ralentis énamourés et de cadrages en contre-plongées, la fascination du réalisateur pour ses monstres est si prégnante que l’ambiguïté s'installe.
Est-il nécessaire d'à ce point iconiser ces psychopathes pour en dénoncer le mode de pensée et les agissements ? La question est posée.
A laquelle le réalisateur apporte peut-être déjà un début de réponse, par la manière dont il dirige les comédiens incarnant ces bad guys. En effet, les assassins se comportent de manière particulièrement grotesque, dansant et chantant comme des enfants trop excités dans une cour de récré, éructant avec force grimaces leurs laïus sur leur droit de purger, en roulant des yeux et en riant à gorge déployée, tellement ils sont méchants ! Trop caricaturaux pour être honnêtes. Un moyen pour le réalisateur de désamorcer des situations qu'il ne souhaite finalement pas trop réalistes, car elles en deviendraient trop effrayantes...
Une vision de l'Oncle Sam qui en dit long sur les peurs du réalisateur James DeMonaco... |
Toujours est-il que les American Nightmare nous ouvrent grand les portes d'un mémorable bestiaire, et que ce troisième volet n'y fait pas exception.
C'est même ici que l'on en découvrira les plus beaux spécimens : touristes venus de l'étranger pour tuer (une idée hélas à peine esquissée...) et déguisés en versions grotesques des créateurs du pays, pin-ups corsetées circulant en voiture pleine de guirlandes de Noël leur donnant l'allure de carrosses de conte fées perverti(e)s, tueurs attachant leurs proies hurlantes sur le capot de leur véhicule, guillotine, cochons maniant la scie circulaire...
Il y aurait eu de quoi faire. Hélas, trop occupé à nous raconter son histoire, DeMonaco ne prend pas suffisamment le temps de s'y arrêter, et ne nous offre qu'une série de courtes vignettes, certes plastiquement réussies(joli travail de photo de Jacques Jouffret !), mais dont la brièveté engendre une réelle frustration chez le spectateur, qui aurait aimé voir autant de bonnes idées un peu plus développées.
Pour son troisième (et dernier ?) volet, la saga American Nightmare se prend donc hélas les pieds dans le tapis.
Incohérent, bougrement agaçant, frustrant, ce film, qui aurait du être le plus marquant de la série, car le plus engagé (d'autant qu'il sort quelques mois à peine avant les élections présidentielles américaines !), en est finalement le moins réussi, et le plus inoffensif...
On vous conseillera donc plutôt de revisionner le tout premier volet, qui, lui, mérite une franche réhabilitation, tant son discours est bien plus fin et corrosif que celui développé dans les séquelles.
Peut-être James DeMonaco a-t-il atteint là ses limites en tant que scénariste et réalisateur, et devrait-il passer le flambeau. On se prend à rêver de ce qu'un cinéaste de la trempe de Zack Snyder (Watchmen, L'armée des morts, 300...) pourrait faire s'il s'emparait d'un concept comme celui de la Purge...
Un autre songe qui nous vient spontanément à l'esprit, c'est celui de ce qu'une telle idée pourrait donner, importée dans notre cher pays. Surtout à quelques mois des élections présidentielles de 2017... Il y a de quoi faire, Cauchemar français pourrait être sacrément prometteur !
Jipi
American Nightmare 3 : Elections (The Purge : Elections Year), Etats-Unis / France, 2016
Réalisation : James DeMonaco
Scénario : James DeMonaco
Interprétation : Frank Grillo, Elizabeth Mitchell, Betty Gabriel, Mykelti Williamson...
La bande-annonce de American Nightmare
La bande-annonce de American Nightmare 2 : Anarchy
La bande-annonce de American Nightmare 3 : Elections
Crédits photographiques : allocine.fr, buzzonstage.fr, hitek.fr, imdb.com, lecinemaestpolitique.fr, joblo.com, pop.inquirer.net, rollingstones.com
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